Cette pierre-là , elle est plutôt précieuse ! Preciosus en latin, mais nombreux sont ceux qui voudraient la dessertir de son écrin. C'est bien là le problème avec les mythes, il faudrait ne pas vouloir les approcher pour ne pas détruire la part du rêve qui est en nous.
Peu de vins en France ont acquit ce statut d'exception (mais est-il toujours enviable ?) : la Romanée Conti et le Montrachet en Bourgogne, Yquem et Pétrus à Bordeaux. Si Yquem semble le plus accessible et le moins décevant de ces vins fameux, eu égard à son prix, il n'en est pas tout à fait de même pour son collègue de Pomerol à qui il est fréquemment reproché de ne pas avoir le lustre nécessaire pour défendre son statut. Ce qui lui a longtemps valu de n'être gratifié que de ** dans le Bettane et Desseauve. Parker avance une explication dans son guide : ce serait en raison d'une frilosité, voire d'une peur de prendre des risques lors de la vinification, que les propriétaires «assurent», en se contentant du minimum syndical, forcément élevé pour un cru de ce rang. Vendanger tôt pour éviter la pluie, clarifier et filtrer pour épurer le vin, mais aussi, du coup, l'appauvrir ! Ce qui expliquerait les résultats inégaux de la décennie 80. Si 82 et 89 sont des monuments, 81, 83 et 86 sont en deçà de la réputation du cru, 87 également mais dans une moindre mesure car le millésime a quand même été surpassé.
Deux bouteilles de ce nectar dormaient depuis des années dans nos caves respectives et la perspective de les aligner côte à côte pour une soirée d'exception faisait petit à petit son chemin. A événement exceptionnel, organisation exceptionnelle : une soirée de gala devait servir de rampe de lancement à ces deux monstres sacrés, forcément non issus des meilleurs millésimes, mais qu'importe ! Foin des grincheux qui minimiseront l'importance de la dégustation ! En route pour le mythe !
Pétrus, mythe à mi-temps...
La partie logistique de la soirée prise en charge par Le Seb et Nathalie, nous n'avions qu'à apporter religieusement nos flacons. De vraies stars ! Et poseurs, en plus ! Les deux bouteilles côte à côte, entourées par les carafes, ça vous fait un de ces effets pour la photo! Séance de débouchage à l'aide d'un Screwpull à manette. Aïe ! Aïe ! Aïe ! Grosses inquiétudes sur le 86 ! Pour employer ce qui pourrait être un belgicisme, rien qu'à sentir le bouchon, ça sentait déjà le bouchon ! Peut-être n'est-ce que passager (on peut toujours rêver !), on carafe quand même pour voir !
Place à la mise en bouche !
Pour accompagner les petits toasts au foie gras maison sur pain aux figues :
Domaine du Clos des Fées, Passa Minor 98, Muscat Petits Grains
Une véritable bouteille collector, produite uniquement cette année-là par Hervé Bizeul, dénichée dans une cave de rêve en Suisse par Le Seb ! Le nez est un peu déroutant, sur le menthol, l'eucalyptus, la sève de pin. Les arômes muscatés ne sautent pas à proprement parler au nez ! Bouche ample, sur le coing avec en milieu de bouche une sensation métallique. Rétro sur la pâte de coing et toujours des notes de sève de pin. Une grande originalité et une bouteille très intéressante au final.
Sur une poêlée de Saint-Jacques servies sur un lit de mâche :
Coulée de Serrant 99
Carafée en début de matinée, elle a eu un peu de temps pour s'ouvrir mais elle l'a fait péniblement. Le nez reste discret, sur de légères notes miellées. La bouche est déconcertante ! Pas d'amplitude ni de volume, une impression de vin aqueux, « coupé à l'eau », malgré une grande longueur. Pour tout dire extrêmement décevant !
Ermitage De L'Orée 91, Chapoutier
Robe jaune soutenu. Nez un peu oxydatif, sur les fruits secs, marqué par une sensation alcooleuse (eau de vie de marc). Attaque vive, avec de l'acidité, mais la bouche reste globalement sévère et sèche, avec rétro sur l'alcool et les fruits secs. On sent le beau vin, mais ce n'est pas consensuel. Son caractère très « typé » ne peut pas plaire à tout le monde. Est-ce un problème d'éducation de palais ?
Sur une côte de boeuf de Mr Chambon, cuite à la perfection par Le Seb, et accompagnée de petites rattes et de crosnes :
Pétrus 86
Le passage en Impitoyable a guéri toute vélléité de mettre ce breuvage en bouche ! Une grande leçon à en tirer : les mythes ne sentent pas que la naphtaline, ils peuvent aussi sentir le bouchon !
Pétrus 87
Petit millésime pour Bordeaux, mais grand pour Pétrus ! La robe est encore sombre sans trace d'évolution. Très empyreumatique, sur le tabac, la fumée, le bois noble, il développe une puissance phénoménale en bouche, toute en finesse et en élégance. Puissance, finesse, longueur, élégance, race et distinction, je crois bien que beaucoup d'éléments sont là pour dire qu'on est en présence d'un grand vin dans l'absolu. A mettre au Panthéon des grandes bouteilles bues cette année, au même titre que La Mission 63. Qui a parlé d'effet millésime ?
Cheval-Blanc 94
Remplaçant de dernière minute, il n'a guère eu droit à
l'échauffement ! Changement rapide de température, carafage brutal à
froid, la partie s'annonçait difficile pour lui, surtout derrière le
monument précédent.
Nez d'abord un peu réduit, puis sur les fruits bien mûrs, le tabac
blond, il développe volume et ampleur en bouche, mais aussi relative
souplesse malgré une grande longueur. Un côté accessible immédiat et
très féminin, il correspond tout à fait à l'image que j'ai de
Cheval-Blanc.
Finalement, il se tire plutôt bien de l'exercice difficile auquel il était confronté !
Sur un « Pavé de la place », délicieux gâteau au chocolat de Mr Poix-Daude, servi avec un duo de crème, vanille et caramel :
Mas Amiel Prestige 15 ans d'âge
Un superbe vieux Maury à la robe tuilée qui développe un rancio magnifique, pruneau, havane... Les papilles demandent grâce !
Rhum JM 1990, Les Héritiers Crassous de Médeuil, Martinique
On ne pouvait pas refuser un vieux rhum au Seb, dont la Martinique est quasiment la deuxième patrie ! Une vraie caresse au gosier à la descente et une agréable sensation de chaleur alcooleuse qui remonte. Il n'y a plus qu'à se laisser aller ! Enfin pas trop quand même, car il faut rentrer, même s'il n'y a que 500m à faire !
Que rajouter à cette superbe soirée qui vient clôturer une saison gustative faste pour le GJP ! Rien, si ce n'est qu'il sera cependant dur d'oublier l'immense déception de ce bouchon bien amer !
Pétrus qui r'ule n'amasse pas m'usse ! (c'est pour la rime !)
Olif
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